Robert Dufour : de Lisieux à Charlevoix

Louis-Guy Lemieux, Le Soleil

14/08/2005

Le premier des ancêtres Dufour inspirera de savoureuses destinées

La généalogie mène aussi à la gastronomie. C'est ce qu'a compris le fromager et affineur Maurice Dufour quand il a fallu trouver un nom à l'excellent fromage qu'il venait de créer sur sa ferme de Baie-Saint-Paul, au début de 1995. Ce sera Le Migneron.

Maurice Dufour dit aujourd'hui que c'est Rosaire Tremblay, un historien local, qui a eu l'éclair de génie. Il a fait simplement remonter le fabricant de fromage dans son arbre généalogique. Le grand ancêtre, Gabriel-Robert Dufour, originaire de Lisieux, en Normandie, avait marié, en premières noces, la belle Anne Migneron.

Celle-ci n'est pas l'ancêtre de la lignée des Dufour. Elle a eu trois filles avec Robert. Elle mourra trop jeune, probablement victime de la terrible épidémie de petite vérole qui a décimé la colonie en 1702 et 1703.

Le fromage Le Migneron est un clin d'oeil émouvant à la petite Anne et à son mari Robert.

Ce dernier fondera la lignée des Dufour avec Louise Gagné, une femme de Baie-Saint-Paul qui lui donnera quatre garçons et quatre filles. Chacune avait ses mérites. Anne avait celui de pouvoir compter sur un patronyme qui fait saliver les amateurs de bons fromages artisanaux.

Une arrivée discrète
Le grand ancêtre Gabriel-Robert Dufour fera une entrée tellement discrète en Nouvelle-France que personne ne s'entend sur la date exacte. Faisons comme le généalogiste de la famille, Jean-Paul Dufour, et disons qu'il est venu ici vers 1690.

Il se présentait comme "maréchal", c'est-à-dire maréchal-ferrant ou artisan qui ferre les chevaux. Avant de cultiver ses terres principalement à Saint-Joachim mais aussi à Petite-Rivière-Saint-François et l'île aux Coudres où il voulait établir ses enfants, il gagnera sa vie comme forgeron et tailleur de pierre.

Il n'était pas scolarisé. Aucun acte ni contrat ne porte sa signature.

Jean-Paul Dufour apporte dès le début une précision au sujet de son ancêtre : celui-ci avait deux prénoms, mais il a toujours porté uniquement celui de Robert dans les documents relevés pour reconstituer son histoire ; c'est son dernier fils qui portera le prénom de Gabriel.

À l'automne 1693, il est choisi par l'abbé Soumande avec trois autres habitants pour aller évaluer les possibilités de colonisation de la région de Saint-Féréol et des abords de la rivière Sainte-Anne. L'abbé Soumande est l'homme de confiance de Mgr de Laval sur la côte de Beaupré. L'année suivante, il travaille à la construction de l'église Sainte-Anne-du-Petit-Cap (Sainte-Anne-de-Beaupré).

Deux mariages rapides

Le premier jour du mois de mai 1694 est à marquer d'une pierre blanche. Robert épouse Anne Migneron, âgée de 19 ans. Elle est la fille de Laurent Migneron (ou Magneron), un Poitevin, et d'Anne Saint-Denis, d'ascendance normande.

Le couple aura trois filles et aucun garçon. C'est donc dire qu'Anne n'a pas participé à la lignée des Dufour de Charlevoix.

Anne n'aura pas le temps de voir grandir ses filles qui se marieront toutes les trois. Elle meurt au début de 1702. Anne n'a pas 30 ans. Sa plus jeune fille, Agnès a un an et demi.

Resté veuf avec trois filles en bas âge à élever, on comprend l'ancêtre de ne pas attendre longtemps pour trouver une nouvelle mère pour ses enfants et une compagne pour l'aider à cultiver sa terre.

En août de la même année 1703, il épouse Louise Gagné, 20 ans, fille d'Ignace Gagné et de Barbe Dodier. Elle vivait à Baie-Saint-Paul.

Jacques Lacoursière rapporte ici un fait intéressant qui montre que les recherches généalogiques n'ont jamais de fin et que même les meilleurs peuvent se tromper. Le Dictionnaire généalogique des familles du Québec de René Jetté affirme que Louise et Robert n'ont eu qu'un seul enfant. Cette information capitale pour la suite du monde est d'ailleurs reprise par Michel Langlois dans son Dictionnaire biographique des ancêtres québécois. La vérité, c'est que l'union de Robert et de Louise sera au contraire très fertile et leur assurera une descendance nombreuse.

Le généalogiste Jean-Paul Dufour a publié une histoire de la lignée de Robert Dufour qui a été éditée plusieurs fois et publiée en un seul ouvrage qui fait autorité, en mai 2004. Il prouve hors de tout doute que le couple a mis au monde huit enfants : quatre garçons et quatre filles.

Pour sa part, le généalogiste Gérard Lebel avance, dans le 14e tome de Nos Ancêtres, que sept enfants Gagné-Dufour, quatre garçons et trois filles, "furent les héritiers vivants de cette seconde famille".

Gérard Lebel apporte une précision qui explique tout. En effet, les actes de baptême de tous les enfants de Robert et Louise sont perdus. Le généalogiste ajoute : "Ce n'est que par les mariages que nous découvrons les membres de cette famille. Il se peut même que des soeurs ou des frères, morts jeunes, soient tombés dans l'oubli à tout jamais."

Saint-Joachim
Avant la mort de sa première femme, vers 1700, Robert acquiert la totalité de la concession de son beau-père, Laurent Migneron. Il devient défricheur et agriculteur. Pourtant, il n'abandonnera jamais vraiment son métier de maréchal-ferrant et de forgeron.

Selon Gérard Lebel, Robert Dufour était bâti comme un athlète. Il était en plus un bourreau de travail. Rien de surprenant à ce qu'il ait fait de sa terre de Saint-Joachim un des beaux domaines agricoles de la région.

Il y construit une maison neuve et de bonne dimension en 1703 et 1704, soit dès son second mariage.

Sa seconde famille est nombreuse, alors il pense à établir ses fils pour leur donner une meilleure chance dans la vie. C'est dans cet esprit qu'il devient propriétaire de terres à La Petite-Rivière-Saint-François, en 1717, et à l'île aux Coudres, vers la même date.

Les fils marient des Tremblay

Tous les fils de Robert qui se rendront à l'âge adulte marieront des descendantes de la grande famille Tremblay. Trois d'entre eux seront exceptionnellement généreux de leur semence et planteront solidement les racines de cette souche Dufour dans la riche terre de Charlevoix.

L'historien Jacques Lacoursière s'arrête plus particulièrement à Bonaventure Dufour, le deuxième fils de Robert, qui épouse Élisabeth Tremblay, à Petite-Rivière, en 1734.

Ce Bonaventure est intéressant notamment parce qu'il est le père de Joseph Dufour, surnommé le Grand Bona. Ce dernier sera célèbre par sa taille exceptionnelle, mais aussi parce qu'il fera partie de la première Chambre d'assemblée du Bas-Canada. Ce géant de six pieds et sept pouces était l'un des plus importants censitaires de l'île aux Coudres.

La mort du grand ancêtre

C'est en se rendant sur sa terre de l'île aux Coudres, à l'automne de 1719 ou au printemps suivant, que l'ancêtre Robert perdra la vie en se noyant dans les eaux du fleuve.

Le généalogiste Gérard Lebel écrit bellement : "Robert avait dominé la terre et la forêt. Il avait bravé la mer pour venir au Nouveau Monde. Il connaissait par coeur le Saint-Laurent, de Québec à la Malbaie. Le fleuve géant triompha de lui, un jour de malchance".

Après un deuil d'une durée de six ans, Louise Gagné se remariera à Baie-Saint-Paul avec Guillaume Boily. Le nouveau couple aura un fils, prénommé Jean. Avec son père, il est l'ancêtre des Boily d'Amérique.

Louise Gagné, aïeule des Dufour et des Boily, sera inhumée à Baie-Saint-Paul le 24 septembre 1747.

Rappelons que quatre autres français portant le patronyme Dufour ont fait souche au Canada. Ils se sont installés surtout dans la région de Montréal.

DES DUFOUR MARQUANTS

Joseph Dufour (1874-1956)

Né à Saint-Pascal, près de Kamouraska, cet homme d'affaires fut député libéral de Matane et de Matapédia entre 1919 et 1944 presque sans interruption.

Francis Dufour

Né à Kénogami en 1929, il a été maire d'Arvida de 1967 à 1975, puis maire de Jonquière de 1975 à 1985. Il a été élu député du Parti québécois dans Jonquière en 1985 et en 1989.

Yvon Dufour (1930-1999)

Né à Courville dans la région de Québec, ce comédien a débuté dans le métier à titre d'annonceur de radio à la station CHRC de Québec. on l'a beaucoup vu à la télévision dans des séries célèbres : Les enquêtes Jobidon, CF-RCK, et La p'tite semaine où il interprète le rôle principal. Son dernier grand rôle avait été celui du curé dans Le Temps d'une paix. Après un sévère accident vasculaire cérébral, il avait réussi l'exploit de réapprendre à marcher et à parler. Un an avant sa mort, il avait fait un retour admirable à la télévision.

Mario Dufour

Né à Baie-Saint-Paul en 1952, ce prêtre a contribué, comme curé de Saint-Roch, à la relance d'un quartier autrefois clochardisé. Il a mis sur pied la Fondation Saint-Roch qui ouvre les églises Saint-Roch et Notre-Dame-de-Jacques-Cartier à d'autres activités que le seul culte religieux et vient en aide aux gens démunis. Il a restauré l'église Saint-Roch et fait ressortir la beauté de son architecture. Enfin, il a créé le Festival de musiques sacrées de Québec. Ce jeune prêtre est retourné aux études pour se recycler et on entendra de nouveau parler de lui un jour prochain. Mario Dufour est le frère du fromager et affineur Maurice Dufour.