Les noms de lieux sont aussi anciens que les villes et villages eux-mêmes, donc ont des origines qui se mesurent souvent en millénaires ou siècles en France. Retour sur les mécanismes de choix des noms de lieux et de rues…

L'origine des noms de lieux remonte à la nuit des temps…

Les noms de lieux sont aussi anciens que les villes et villages eux-mêmes, donc ont des origines qui se mesurent souvent en millénaire ou siècles en France.
Lorsqu’une création récente s’est faite, c’est l’Etat qui décide des noms : Lorient (initialement écrit L’Orient, car ce port était celui de la Compagnie des Indes) sous Louis XIV, la ville nouvelle de Val-de-Reuil, parmi d’autres, sous Pompidou…
Mais il se crée rarement de nouvelles communes en France, les fusions sont plus fréquentes. Dans ce cas, ce sont les conseils municipaux qui tranchent ; ils se contentent souvent d’associer les deux noms (Dangé-Saint-Romain dans la Vienne par exemple) mais peuvent créer une nouvelle appellation (Genilac, une commune de la Loire, résulte ainsi de la fusion de Saint-Genis-Terrenoire et de La Cula).

Les seuls changements majeurs, mais qui vont s’effacer aussi vite qu’ils sont venus, sont ceux que la Révolution a tenté d’apporter.

En 1793, un décret invite en effet à changer les noms de lieux pouvant "rappeler la royauté, la féodalité ou la superstition". Les éléments toponymiques suspects sont remplacés : Saint-Cloud se transforme en Pont-la-Montagne, Saint-Nazaire en Port-Nazaire, Bourg-la-Reine Bourg-Égalité, etc. Une fois la Terreur passée, les anciens noms reviennent, les derniers à le faire y seront contraints en 1814.

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By Arnaud Fafournoux (Own work) [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html) or CC BY-SA 4.0-3.0-2.5-2.0-1.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0-3.0-2.5-2.0-1.0)], via Wikimedia Commons

Les noms de rues sont plus récents et davantage modifiés

Dans les grandes villes, les rues ont parfois des noms depuis le Moyen Age. Ils avaient été donnés par les habitants et n’étaient souvent connus que de ceux qui les fréquentaient :

  • des noms dûs au lieu traversé (Clos-Bruneau)
  • au notable qui y habitait (rue Aubry-le-Boucher)
  • au monument le plus proche (rue du Temple)
  • aux artisans qui y travaillaient (rue de la Ferronnerie)
  • à une particularité (rue de l’Egout)
  • ou à une enseigne remarquable (rue des Jeux-Neufs)
  • ...noms souvent déformés au fil des siècles.

Lorsque la ville s’étend, ce sont ses édiles qui choisissent les noms à donner aux nouvelles rues.
Aussi trouve-t-on des noms cherchant à honorer le pouvoir en place : le boulevard du Roi et le boulevard de la Reine par exemple, dans la ville nouvelle de Versailles au XVIIe siècle.
Des noms que chaque régime va modifier : la Révolution transforme les noms de rues comme elle l’a fait pour les noms de lieux (les boulevards de Versailles sont ainsi renommés boulevard de la Liberté et boulevard de l’Égalité).
Le premier puis le second Empires affichent leurs victoires militaires, la IIIe République préfère les remplacer par ses grands hommes, une volonté poursuivie au siècle suivant : les nombreux maires communistes de l’après-guerre multiplieront les places, rues et boulevards Lénine ou Staline, progressivement effacés ensuite…
Signalons que, dans les communes de toute petite taille, les noms de rues n’ont parfois été créés que peu avant l’an 2000, en général sans grand effort d’imagination (mais aussi sans polémique ultérieure), du genre Grande Rue, rue de l’Église, place de l’École...

Qui est décisionnaire ?

Les choix des noms de rues reviennent donc aux maires et aux conseils municipaux (choix qu’ils doivent faire valider obligatoirement depuis 1950 auprès de la préfecture).
Pour les petites communes, on vient de le voir, l’affaire est vite entendue.
Pour les plus grandes, depuis dix ou quinze ans, il est de bon ton de faire voter les habitants sur les choix envisagés (la ville de Rouen, par exemple, a consulté sa population avant de nommer son tout nouveau pont sur la Seine, désormais appelé pont Flaubert). Mais ce n’est pas toujours le cas et, autrefois, ce l’était rarement voire jamais.
Lorsqu’un nouveau lotissement était construit, on déclinait en général une série géographique (rue de Londres, rue d’Espagne…) ou florale (rue des Acacias, rue des Églantiers, rue des Mimosas…) qui n’allait choquer ni l’opposition ni la majorité.
De temps en temps, les choix étaient orientés par des donataires, léguant leur fortune à leur commune d’origine, à charge pour elle de donner leur nom à une rue ou une place.
Enfin, il y a des choix qui sont parfois des coups de cœur, qui équivalent à un cri enthousiaste ou partisan et ne font l’objet d’aucune consultation : une rue a été nommée Coluche à Châtellerault après le décès de l’humoriste, ainsi qu’une place à Paris ; la disparition de chanteurs reconnus comme Jacques Brel, Georges Brassens… a entraîné à chaque fois des créations ou des changements de noms de rues.
Et, dans un registre tout récent et plus dramatique, le conseil municipal de Paris vient de décider de donner à une rue le nom de Mohamed Bouazizi, le jeune homme immolé à l’origine de la révolution tunisienne.

Marie-Odile Mergnac